Agence Panafricaine d'information

Une radio indépendante accusée d'«atteinte à la sécurité publique» au Burundi

Bujumbura, Burundi (PANA)- Le président du Conseil national de la communication (Cnc), Richard Giramahoro, a confirmé, vendredi, lors d’un entretien téléphonique avec la PANA, que l’organe gouvernemental de régulation des médias avait adressé, jeudi, une correspondance à la Radio publique africaine (Rpa, indépendante) lui enjoignant de mettre fin sans délais à la diffusion en boucle de témoignages d’un individu qui se fait passer pour un lauréat d’entraînements paramilitaires en République démocratique du Congo voisine pour le compte des services spéciaux du Burundi, à des fins qui restent toutefois inconnues.

Le même dossier a valu la prison à Pierre Claver Mbonimpa, un activiste connu des droits de l'Homme et des prisonniers au Burundi pour "atteinte à la sécurité extérieure et intérieure de l'Etat" après avoir soutenu publiquement disposer de "preuves matérielles" de cette présence de jeunes paramilitaires burundais sur le sol congolais.

Le directeur de la Rpa, Bob Rugurika, de son côté, a confirmé, vendredi, avoir reçu la correspondance du Cnc, tout en rejetant les accusations d’avoir violé les articles 17 et 18 de la nouvelle loi controversée sur la presse au Burundi, en donnant la parole à la personne en question qui vit maintenant dans la clandestinité « par peur d’être tué ».

L’article 17 stipule que « le journaliste est tenu à ne diffuser que des informations équilibrées et dont les sources sont rigoureusement vérifiées».

L’article 18 prescrit, quant à lui, que « le journaliste est tenu de s’abstenir de publier, dans un journal, ou de diffuser, dans une émission audiovisuelle, ou dans tout autre organe de presse, des informations qui portent atteinte à l’unité nationale, l’ordre et la sécurité publics, la moralité et aux bonnes mœurs, l’honneur et la dignité humaine, la souveraineté nationale, la vie privée des personnes et la présomption d’innocence».

Pour le président du Cnc, la Rpa n’avait pas à revenir sur le dossier au lendemain de la publication d’un rapport de la Mission d’observation des Nations unies au Congo qui a conclu à l’absence de jeunes Burundais sur le territoire congolais pour des entraînements paramilitaires.

Les gouvernements de la République démocratique du Congo et le Burundi, concernés au premier chef, ont également fait savoir qu’il n’y avait pas ce genre d’activité, ici ou ailleurs, a-t-il ajouté.

Pour lui encore, la diffusion de ce genre d’informations est de nature à mettre en danger les relations de bon voisinage et d’entente entre le Burundi et le Congo. Par ailleurs, le président du Cnc a trouvé que l’information n’était pas suffisamment équilibrée du fait qu’elle provenait d’une piste et non de sources plus crédibles.

Du côté de l’autorégulation, le président de l’Observatoire de la presse du Burundi (Opb), Innocent Muhozi, a disculpé la Rpa qui, a ses yeux, n’aurait violé aucune disposition du code d’éthique et de déontologie qui est l’élément central du métier de journaliste.

La Rpa est réputée pour la liberté de ton ainsi que pour ses investigations sur des dossiers sensibles, comme dans le cas présent des entraînements paramilitaires supposés de jeunes affiliés au parti actuellement au pouvoir.

La « voix des sans voix » est aussi une radio qui jouit d’une oreille attentive des plus petites gens, tout comme des grands au Burundi où aux heures de grande écoute, ses nouvelles sont suivies par plus de 1,5 million d’auditeurs, selon une récente étude d’audience des médias qui a été commanditée par l’institut Panos Grands Lacs (un organisme indépendant de défense et de promotion de la liberté de la presse dans la région des Grands Lacs).

S’agissant des risques de sanctions qu’encourt la Rpa, le président du Cnc n’a pas voulu les révéler immédiatement mais on sait que la loi sur la presse prévoit que « tout organe de presse ou de communication qui sert de support à la commission de l’un quelconque des délits visés à l’article 18 et 19, doit réparer les dommages causés et dont les montants et les modalités sont fixés par la juridiction qui a qualifié et statué sur le délit en question ».

L’article 19 de la loi sur la presse dispose que: « le droit de diffuser des informations ou de publier des documents ne peut être invoqué si ceux-ci sont en rapport avec le secret de la défense nationale, de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique (…), des informations faisant la propagande de l’ennemi de la nation burundaise, en temps de paix comme en cas de guerre, (…), des documents ou enregistrements de nature confidentielle ou secrète concernant les opérations militaires, la défense nationale, l’activité diplomatique » (…).

On rappelle que la nouvelle loi sur la presse n°1/11 du 4 juin 2013 portant modification de la loi n°1/025 du 27 novembre 2003 a été vite attaquée en inconstitutionnalité par l’Union burundaise des journalistes (Ubj, syndicat indépendant) pour son caractère « liberticide ».

Quelques articles ont été jugés bons à être modifiés comme dans le cas des amendes « exorbitantes » qui pouvaient aller jusqu’à huit millions de francs burundais (près de 6.000 dollars américains) dans certains cas de délits de presse supposés graves.

L’Ubj n’a pas été satisfaite et a introduit un recours auprès de la Cour de justice de la Communauté est-africaine (Cea) de libre échange qui est basée à Arusha en Tanzanie et dont on attend toujours le verdict.
-0- PANA FB/BEH/IBA 15 août 2014