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Quelles alternatives pour une issue à la crise en Libye face à la persistance du blocage entre le Parlement et le Conseil d'Etat?

Tripoli, Libye (PANA) - La recherche d'une alternative pour surmonter l'impasse dans le processus politique en raison des désaccords entre la Chambre des représentants (Parlement) et le Haut Conseil d'Etat qui bloquent tout règlement à la crise libyenne via les élections générales en Libye, est devenue la préoccupation principale des efforts de médiation menés par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Abdoulaye Bathily qui ne cache plus sa déception à ce sujet, ni son impatience à trouver une parade pour parvenir à la tenue des élections le plus rapidement possible.

 

Le ton a été déjà donné lors de son troisième briefing devant le Conseil de sécurité le 16 décembre courant, exprimant sa préoccupation face à ce qu'il n'a pas hésité à qualifier de prise "en otage" du pays par la volonté de deux personnes, en l'occurrence, les présidents du Parlement libyen, Aguila Saleh et du Haut Conseil d'Etat, Khaled Al-Mechri.

 

M. Bathily a indiqué que le désaccord persistant entre deux hommes, en allusion aux dirigeants des deux Chambres "sur un nombre très limité de dispositions de la base constitutionnelle ne peut plus servir de justification pour prendre en otage tout un pays".

 

Le responsable onusien a souligné que "la patience du peuple libyen n'est pas sans limites", assurant que "si les deux institutions ne parviennent pas à un accord rapidement, des mécanismes alternatifs peuvent et doivent être utilisés pour atténuer les souffrances causées par des arrangements politiques intérimaires obsolètes et évolutifs".

 

Il a sollicité aussi le soutien du Conseil de sécurité et de ses États membres individuels, pour faire pression sur les dirigeants politiques du pays sur l'urgence de finaliser la base constitutionnelle pour la tenue des élections générales.

 

Depuis le report des élections le 24 décembre 2021 pour des considérations politique, de sécurité, et des lacunes inhérentes aux lois électorales ainsi que les recours judiciaires interjetés contre les candidats à l'élection présidentielle, la Libye est en proie à une profonde impasse de son processus électoral qui a débouché sur deux gouvernements rivaux, l'un à l'Est désigné par le Parlement et l'autre à l'Ouest reconnu par la communauté internationale.

 

Cette situation qui a attisé les tensions dans le pays au point de conduire à des confrontations armées dont certaines meurtrières entre les deux camps à Tripoli et dans certaines villes de l'Ouest, a été exaspérée par l'échec des pourparlers entre les deux Chambres sur un cadre juridique représenté par une base constitutionnelle servant à la tenue des élections en l'absence d'une Constitution permanente.

 

Les critères de candidature à l'élection présidentielle, les premières de l'histoire du pays, relatives à l'éligibilité des binationaux et des militaires, ont représenté la pierre d'achoppement sur laquelle aucun consensus n'a pu être réalisé par les deux instances législatives.

 

Dans le cadre de la recherche d'une alternative, le Représentant spécial du Secrétaire général et chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye, Abdoulaye Bathily, a appelé, après son briefing devant le Conseil de sécurité, les candidats à l'élection présidentielle à s'entendre sur une proposition unifiée pour sortir de l'impasse actuelle dans un délai précis.

 

Cet appel a été fait lors de sa rencontre avec un groupe de personnalités de différentes parties de la Libye qui avaient déjà soumis leurs dossiers de candidature pour l'élection présidentielle de décembre 2021, exhortant les anciens candidats à prendre en compte les aspects juridiques, constitutionnels et de sécurité nécessaires pour offrir des opportunités de compétition égales et des élections réussies.

 

Il a souligné que les Libyens sont déterminés à faire de l'année 2023 le début d'une nouvelle aube pour eux et leur pays.

 

Mais cet appel aux candidats à l'élection présidentielle pour élaborer une proposition de sortie de l'impasse politique, a été qualifié par des députés et des membres du Haut Conseil d'Etat comme "étrange et suspect".

 

Ils ont estimé que cette invitation aurait dû être adressée à tous les membres de la Chambre des représentants et du Conseil d'État, car ils constituent la référence législative dans le pays.

 

En outre, ils ont estimé que M. Bathily ne dispose d'aucun mécanisme pour contourner la Chambre des représentants et le Haut Conseil d'Etat.

 

A noter que l'espoir suscité par le récent accord conclu entre Aguila Saleh et Khaled Al-Mechri au Maroc, portant sur la nomination aux postes régaliens, l'unification de l'exécutif et l'engagement à réaliser les élections conformément à feuille de route du Forum du dialogue politique libyen, pour sortir du blocage en parvenant à une issue pour surmonter la crise n'aura pas duré longtemps.

 

En effet, l'adoption par le Parlement du projet de loi instituant une Cour constitutionnelle à Benghazi (Est), a conduit à la suspension de tout contact entre les deux Chambres. Une décision prise par Khaled Al-Mechri qui a été entérinée par un vote des membres du Conseil d'Etat, posant comme condition à toute normalisation, le retrait de cette loi.

 

Le Représentant du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Abdoulaye Bathily, avait compté sur cet accord entre les deux Chambres en arrangeant une rencontre avec les présidents du Parlement et du Haut Conseil d'Etat pour surmonter les blocages mais des conditions "logistiques indépendant de la volonté" de l'ONU ont empêché la réunion prévue à Zentan (170 km Sud-Ouest de Tripoli), selon l'explication de l'ONU.

 

Autre alternative qui reste à l'ONU pour faire progresser sa médiation vers une solution est l'initiative présentée par le Conseil présidentiel  pour résoudre la crise politique en Libye, portant sur un dialogue constitutionnel en priorité pour mettre fin aux étapes de transition, en tenant compte des initiatives, idées et visions avancées par les partis politiques et les forces nationales.

 

Soutenue par M. Bathily, l'initiative, qui représente une approche du Conseil de la présidence pour surmonter le blocage politique et parvenir à un consensus national, stipule la tenue d'une réunion consultative entre le Conseil présidentiel, la Chambre des représentants et le Haut Conseil d'État, en coordination avec le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Libye.

 

Toutefois, les chances de voir cette initiative déboucher sur des avancées significatives dans le règlement de la crise libyenne, demeurent infimes, étant donné que jusqu'à présent les actions pour tenir cette rencontre entre les trois présidences libyennes sous les auspices des Nations unies, n'ont pas encore abouti. 

 

Malgré un contexte favorable à cette rencontre en raison des blocages actuels avec le besoin d'une bouée de sauvetage, l'expérience a montré par le passé qu'une première initiative du Conseil présidentiel pour résoudre la crise libyenne avait échoué.

 

Les clivages politiques en Libye toujours très marqués et les ingérences étrangères qui donnent une dimension internationale à la crise libyenne constituent autant d'obstacles devant la recherche d'une solution politique.

 

Des observateurs de la scène politique libyenne, estiment que tant qu'un rapprochement ne s'est pas opéré au niveau des positions des puissances régionales et internationales, aucune issue ne peut être trouvée à la crise libyenne dont les clés se trouvent à l'étranger.

 

Ces mêmes observateurs ont également assuré que la piste d'une troisième conférence Berlin III évoquée ces derniers mois pour mobiliser le soutien de la communauté internationale et relancer le processus politique en vue de parvenir à un règlement, ne pourra pas réaliser les résultats escomptés comparables à ceux de 2020.

 

Ils considèrent que le contexte actuel est complètement différent par rapport à celui de l'époque où le pays sortait de la guerre de Tripoli qui avait conduit à la lassitude des Libyens dont les décideurs politiques ont été acculés par les manifestations populaires de ras-le-bol, de lassitude éprouvée par les mauvaises conditions de vie et la détérioration du pouvoir d'achat et la crise économique ainsi que l'absence d'accès aux services de base.

 

Le Représentant du Secrétaire général de l'ONU ne désespère pas de faire aboutir une rencontre entre les parties libyennes au conflit pour avancer sur le processus électoral et résoudre la crise libyenne à travers l'opportunité donnée aux Libyens de choisir leurs dirigeants d'apporter une nouvelle légitimité aux institutions.

 

C'est dans ce cadre qu'il a demande au Conseil de sécurité, à ses membres et à tous ceux qui ont le pouvoir de convocation, de soutenir les efforts de la MANUL pour ramener les dirigeants politiques libyens à la table des négociations et empêcher une nouvelle détérioration de la situation à la veille du premier anniversaire du report des élections du 24 décembre.

 

Il a également exhorté l'instance exécutive onusienne "à ce que soient tenues responsables les personnes et entités qui agissent ou soutiennent des actes qui empêchent ou compromettent la tenue d'élections, assurant que cela s'appliquera aux actes commis avant, pendant et après les scrutins.

 

La réaction du Conseil de sécurité des Nations unies semble avoir reflété une harmonie des positions de ses membres et une unification autour de l'action de M. Bathily en soutenant les idées qu'il a avancé et sa vison de la solution en Libye.

 

Dans un communiqué publié, mardi, les membres du Conseil de sécurité, se sont félicités des consultations approfondies menées par le Représentant spécial du Secrétaire général avec les parties prenantes libyennes et la communauté internationale, réitérant leur appel à toutes les parties libyennes et aux principales parties prenantes à engager un dialogue avec M. Bathily et entre elles de manière constructive, pleinement, dans un esprit de compromis et de consensus, et de manière transparente et inclusive.

 

Ils ont appelé tous les acteurs à préserver le calme qui règne sur le terrain et à se rassembler sous les auspices des Nations Unies pour convenir rapidement d'une voie à suivre, finaliser le règlement politique, y compris la base constitutionnelle, afin de mener une conduite libre, équitable, transparente et des élections présidentielle et parlementaires nationales inclusives dès que possible dans tout le pays, et a encouragé tous les acteurs à compléter leurs efforts à cet égard.

 

Les membres du Conseil de sécurité se sont engagés à soutenir un dialogue intra-libyen inclusif à cet égard, visant, entre autres, à former un gouvernement libyen unifié capable de gouverner dans tout le pays et représentant l'ensemble du peuple libyen.

 

Agitant l'épouvantail des sanctions, les membres du Conseil de sécurité, ont rappelé que les mesures énoncées dans la résolution 1970/2011, telle que modifiée par les résolutions ultérieures, s'appliqueront aux personnes et entités dont le Comité des sanctions des Nations Unies contre la Libye aura déterminé qu'elles se livrent ou apportent leur soutien à des actes qui menacent la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye ou entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique, notamment en obstruant ou en compromettant les élections.

 

Mais la menace des sanctions n'a jusqu'à présent pas dissuadé certains acteurs politiques libyens d'agir pour servir leur propres intérêts en perturbant le processus politique et empêchant de parvenir à une solution.

 

Le Parlement libyen et le Haut Conseil d'Etat ont depuis 2014 pris en otage le pays, manœuvrant sans cesse pour torpiller dans les coulisses toute action de nature à déboucher sur une issue pour rester dans le paysage politique en prolongeant leurs mandats. Une situation qui a valu à ces deux instances législatives d'être accusées par une importante frange de Libyens d'être à l'origine de la crise car il suffit d'une volonté politique réelle mettant en avant l'intérêt de la Libye pour arriver à un règlement définitif et durable dans le pays. 
-0- PANA BY/IS 22dec2022