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L'impasse politique bloquée pousse vers une confrontation militaire en Libye

Tripoli, Libye (PANA) - Les signes d'une possible confrontation militaire en Libye découlant de l'impasse du processus politique, en particulier la question de l'Exécutif et l'absence d'une issue pour les deux gouvernements rivaux, se sont multipliés ces derniers jours avec les démonstrations de force et la mobilisation des troupes des deux camps, dénotant d'une grande fébrilité qui augure d'une inéluctable guerre de nature à replonger le pays dans le chaos sécuritaire.

En effet, l'option de la guerre semble être la seule issue qui reste aux protagonistes libyens pour en découdre avec la question de l'Exécutif dans le contexte de l'absence de perspectives d'un règlement pour résoudre la question des deux gouvernements qui paralyse le pays et attise la tension, à défaut de la relance du processus électoral afin de recourir aux urnes pour départager les Libyens en choisissant qui les gouverne.

La surenchère verbale qui s'est emparée de certains dirigeants et parties libyennes, s'ajoute aux tambours de guerre et aux bruits de bottes qui se font entendre partout en Libye, dénotent de cette orientation vers laquelle s'est engagé le pays.  

Ainsi des groupes armés affiliés au Premier ministre désigné par la Chambre des représentants (Parlement), Fathi Bachagha, ont organisé mardi, un défilé militaire à la périphérie de la ville de Misrata (220 km à l'est de Tripoli).

Des photos montrant des convois militaires, des forces appelées "Brigade 217", baptisées "Force de protection de la légitimité, qui soutient le gouvernement libyen" de M. Bachagha, ont été publiées sur les réseaux sociaux.

Les internautes ont diffusé des vidéos montrant une partie du défilé militaire, assurant que la brigade qui est dirigée par le colonel Salem Juha comprend 85 bataillons de la ville de Misrata d'où sont originaires les deux Premiers ministres.

Auparavant, d'énormes mouvements militaires de convois de véhicules chargés de matériel militaire, ont quitté la région de Jebal Al-Gharbi vers la capitale, Tripoli, pour soutenir les groupes armés appuyant le gouvernement d'unité nationale du Premier ministre, Abdelhamid al-Dbaiba. 

En face, un convoi armé chargé d'armes moyennes et lourdes est arrivé au siège de la salle des opérations conjointes de l'Ouest, en soutien aux forces du général de Division, Oussama al-Jouwaili, à son QG dans le Camp du 7 avril, au sud de Tripoli.

Ces mouvements ont coïncidé avec le déploiement de voitures armées surmontées de canons anti-aériens et d'autres groupes armés appartenant à l'ex-directeur du renseignement militaire limogé et chef de la salle des opérations conjointes, le général Oussama Al-Jouwaili, dans la région sud-ouest de Tripoli.

Le général Oussama Al-Jouwaili qui soutient le Premier ministre désigné par le Parlement avait déjà mené samedi dernier une attaque à Tripoli contre le camp de la Force mobile appuyant le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaiba, attisant davantage la tension.

 

Cette attaque est intervenue dans le sillage d'une surenchère verbale à laquelle s'est livré Al-Jouwaili contre le gouvernement d'unité nationale et après l'échec d'une rencontre qui devrait regrouper les formations armées dans la capitale libyenne et la région Ouest du pays soutenant les deux camps pour apaiser la tension et s'engager à s'abstenir de se livrer à de nouvelles escalades susceptibles d'envenimer la situation.

 

La mobilisation des forces de part et d'autre des deux camps, a été précédée par des affrontements armés à Tripoli dont le dernier en date remonte au 22 juillet dernier faisant 16 morts dont 06 civils et 52 autres blessés.

 

Cette détérioration de la situation sécuritaire est inhérente à l'aggravation de l'impasse politique à la suite du report des élections de décembre, en raison de la crise de l'exécutif avec l'installation en mars dernier par le Parlement d'un gouvernement dirigé par le Premier ministre , Fathi Bachagha alors que le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale issue d'un consensus entre Libyens lors du Forum du dialogue politique libyen sous les auspices des Nations unies.  

 

Mais il semble que c'est le langage de la guerre qui l'emporte jusqu'à présent sur toute autre considération, selon les observateurs de la scène libyenne qui soulignent qu'une confrontation militaire pour en découdre entre les deux camps soutenant les deux gouvernements concurrents, est inéluctable.

 

Cette logique guerrière s'est reflétée aussi lors des préparatifs de la célébration du 82e anniversaire de la fondation de l'armée libyenne, commémorée mardi à Tripoli, marquée le défilé des forces et unités militaires bien que l'accent a été mis sur l'importance de l'unification de l'armée loin des tiraillements politiques et qu'elle soit au service de la protection de la patrie, des frontières et de la souveraineté de la Libye. 

 

Le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale et ministre de la Défense, Abdelhamid Al-Dbaiba a appelé, lors d'un discours à l'occasion de la cérémonie de célébration du 82e anniversaire de la fondation de l'armée libyenne "ceux qui brandissent la guerre en contravention de leurs devoirs militaires à apprendre de leurs expériences passées. Nous devons faire passer notre pays à la stabilité, et notre devise est la sécurité, la paix, la science et le travail".

 

Il a exhorté tout le monde à se tourner vers la réalisation du rêve commun de mener à la réalisation de l'agenda national qui garantisse le transfert pacifique du pouvoir et réalise les espoirs de stabilité et de développement de ce peuple à travers l'organisation des élections.

 

En contrepartie de ce discours pondéré de M. Al-Dbaiba, on note une certaine perte de patience de la part de son rival, Fathi Bachagha, qui n'exclut plus d'une manière implicite le recours aux tares pour commencer à exercer ses fonctions à partir de Tripoli.

 

Le Premier ministre désigné par la Chambre des représentants, Fathi Bachagha, s'est lancé dans une violente diatribe contre le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaiba, assurant "tenir le gouvernement sortant, et son chef personnellement, la responsabilité nationale, morale et légale pour chaque goutte de sang versée en raison de son insistance à gouverner par la force et sans légitimité".

 

Dans un discours dans une vidéo enregistrée et publiée mardi, M. Bachagha a ajouté que "six mois et nous tendons la main de la paix et pour la paix, et le gouvernement nous répond par une escalade, des menaces, des intimidations, du terrorisme, des meurtres et la poursuite de tous les adversaires".

 

Il a souligné qu'il était déterminé "à incarner et consolider la légitimité, assurant qu'"il ne négligerait pas les acquis de la démocratie, de la liberté, de la justice et de l'alternance pacifique du pouvoir".

 

Le Premier ministre désigné a ajouté depuis la ville de Syrte (Centre) où est installé son gouvernement : "Nous n'avons pas utilisé la force, la paix ou les menaces pour exercer nos droits politiques. Nous n'avons pas combattu tant que nous n'avons pas été forcés de combattre. Nous avons combattu la dictature, la tyrannie, l'extrémisme et le terrorisme pour la liberté et la démocratie, et nous travaillons à construire un État qui préserve la dignité du citoyen et lui garantit une vie décente".

 

Il est rejoint par son allié politique, le chef de l'armée nationale libyenne basée à l'Est, le maréchal Khalifa Haftar qui a affirmé, dans un discours dans la ville de Tobrouk (Est) lundi dernier, en présence de cheikhs, de dignitaires, d'habitants et de jeunes de la ville, que le peuple libyen "ne va pas permettre aux adorateurs des chaises (pouvoir)" de les priver de leur volonté, disant que chaque fois que le peuple s'approche d'une issue, il est surpris par la fermeture de l'horizon politique, soulignant que "parvenir à une solution entre les parties en conflit qui sont actuellement au devant de la scène "est devenu un fantasme".

 

Il a ajouté, cité par le journal "Al-Wasat" que "chaque fois que les Libyens espèrent le bien, les résultats les surprennent avec la fermeture de l'horizon politique et le retour à la case départ, au point que ce n'est plus un secret pour les Libyens que parvenir à un consensus global entre les parties en conflit qui sont à l'avant-garde de la scène menant à une solution globale, relève de l'imaginaire, sans qu'il soit nécessaire de jeter le blâme sur une partie et pas sur l'autre, et il n'y a rien qui puisse apporter un soulagement, sauf que le peuple dise son dernier mot, le plus tôt possible, pour dire en vain stop au mépris, stop aux promesses creuses, stop à sous-estimer les aspirations et les espoirs du citoyen, et à manipuler la patrie et sa sécurité, pillant ses ressources et ses richesses".

 

En effet, les horizons sont entièrement bouchées quant à l'existence de perspectives pour une issue à court ou moyen terme à l'impasse politique dans le pays en raison de l'absence d'initiative pouvant faire avancer vers une sortie de la crise.

 

L'organisation des élections générales qui figurait en bonne place dans la feuille de route du Forum du dialogue politique libyen pour le 24 décembre dernier, a été reportée en raison des lois électorales défectueuses, adoptées de manière unilatérale par le Parlement.

 

Aujourd'hui, la tenue d'élections législatives et présidentielle bute encore sur l'élaboration d'une base constitutionnelle consensuelle servant de cadre juridique en l'absence d'une constitution, en raison de la persistance de divergences entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat sur l'éligibilité des binationaux et des militaires.

 

Cet échec à surmonter ces désaccords a été suivi par le départ précipité de la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la Libye, Stephanie Williams, qui avait chapeauté les négociations entre les deux Chambres et les efforts de médiation en Libye, aggravant davantage l'impasse dans le processus politique qui se retrouve entièrement bouché, les parties libyennes campant chacune sur leurs positions sans concéder de concessions ni de compromis pour parvenir à surmonter ces points de divergence.

 

Le chef par intérim de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), Raisedon Zenenga, a entrepris des contacts avec des responsables libyens, en particulier, avec le Conseil présidentiel, le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale et les composantes de la société civile, réitérant la poursuite des efforts de l'ONU pour soutenir les Libyens, sans véritablement des mesures concrètes augurant d'action pour réunir les protagonistes afin de discuter du règlement de la crise.

 

Le Conseil présidentiel libyen qui a mis en place une initiative pour l'élaboration d'une feuille de route en consultation avec les parties libyennes de manière à fixer une date à la tenue des élections nationales n'a jusqu'à présent enregistré aucun progrès tangible dans ce sens.

 

Mercredi, la Secrétaire générale adjointe des Nations unies aux affaires politiques et de la consolidation de la paix, Rose Marie DiCarlo, est entrée en action lors d'un entretien téléphonique avec le président du Haut Conseil d'État, Khaled Al-Mechri qui lui a réitéré sa vision pour s'en sortir de la crise en organisant des élections sur une base constitutionnelle et juridiques solides qui renouvellent la légitimité politique du pays et mettent fin aux étapes de transition.

 

Cette situation de blocage augure d'une inévitable confrontation militaire en Libye dans le contexte de la mobilisation des groupes armés à l'intérieur et de la poursuite de la division de la communauté internationale à l'égard du dossier libyen, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

-0- PANA BY/IS/SOC 11août2022